On ne peut oublier ! Il NE FAUT PAS OUBLIER…
Parfois c’est une photo qui vous ramène chez vous. Il y a quelques jours, une photo m’a emportée 45 ans en arrière, aux senteurs et chaleurs d’été de mon enfance. Puis m’a téléportée il y a maintenant 76 ans : le 10 juin 1944. De mon enfance insouciante aux Bordes, à 2km d’Oradour, un regard étonné sur les ruines, des veillées, où chacun racontait la perte d’un proche, d’une fille, d’une famille entière… Les souvenirs de ma grand-mère qui avait habitée plus jeune Oradour (La ferme de l’Auze) et avait perdu nombre de ses amis. Je ne pouvais enfant comprendre une telle barbarie. Adulte et au vu du monde, je ne comprends toujours pas pourquoi les hommes oublient… Hélène Delarbre Faugeras : lumières d’éternité
Une lumière intemporelle
C’est la lumière d’Oradour-sur-Glane qui m’a toujours surprise, Hélène a capté son intemporalité. Ces photos portent l’éternité et me voici replongée dans les émotions. Merci Hélène Delarbre Faugeras, votre sensibilité, vos rencontres notamment avec Camille Senon, rescapée du massacre, nous parlent. Le murmure du silence porte nos larmes et la lumière laisse entrevoir notre humanité, ou l’espoir d’un lendemain plus serein.
Les photographies d’Hélène portent nos mémoires. Artiste-auteure, Hélène est passionnée par la photographie, non pas la belle image que l’on aime contempler mais l’empreinte sensorielle qu’elle laisse. Les photos jusqu’alors présentées sur Oradour avaient comme objectif de porter l’histoire, non de la raconter. Transcrire les émotions, se mouvoir dans la temporalité de l’époque, retrouver la lumière qui émergeait ce matin-là.
Pour cette photo de couverture du livre Oradour le dernier tram de Franck Linol, Hélène s’est immergée dans le village pendant plusieurs mois. Chaque jour, elle parcourrait le village sans appareil photo. Elle s’imprégnait des vies passées. Dure épreuve.
La lumière du 11 juin
Camille Senon prend le tramway de Limoges le Samedi 11 juin… Le Dimanche 11 juin 1944, au lendemain du massacre d’Oradour, elle retourne au village…
« Ah cette photo… Je savais exactement l’ambiance que je voulais rendre. Celle qu’avait pu connaître Camille Senon quand elle est revenue dans le village au matin du 11 juin 1944, très tôt.
J’ai fait beaucoup d’essais le matin de bonne heure, mais rien ne me satisfaisait.
Et puis un samedi soir de mai, tard, après un repas en famille, j’ai regardé dehors et la lune était pleine. La lumière dehors en pleine nuit était magnifique. Je me suis dit « et pourquoi pas ? ». Avec mon fils ainé, nous sommes partis en direction du village martyr, il devait être aux alentours de 2 heures du matin. Nous sommes rentrés dans le village, dans lequel il n’y a aucune lumière artificielle, seule la lune éclairait.
Je savais exactement à quel endroit je voulais me placer. Nous avons installé le trépied, j’ai contrôlé dans le viseur, j’ai fait mes réglages (pause longue, 10 secondes de mémoire), et j’ai mis le retardateur. A la première image, je savais que ce serait la bonne, celle que j’espérais depuis des mois. Rentrés à la maison, je n’ai pas pu attendre, je l’ai développée le soir même.
Voilà l’histoire de cette image. Il m’aura fallu oser une photo en pleine nuit pour rendre une ambiance de lever de soleil au petit matin d’été. »
Un cliché, cette lumière : ce souvenir. Je pense à Madame Senon qui a vu cette photo et… SOUVIENS-TOI
« Les photos d’Hélène Delarbre nous touchent au plus profond de notre sensibilité. Hélène a tellement intégré les lieux qu’elle nous fait partager son regard le plus intime. Elle Contribue à perpétuer la mémoire ». Camille Senon*
Camille Senon « souviens-toi »
Oradour, Le dernier tram est un livre hommage aux martyrs, et aux rescapés qui portent leur deuil.
L’histoire d’une rencontre avec Camille Senon.
« Ce livre, c’est l’histoire de Camille, la grande Camille Senon. Je l’ai rencontrée pour la première fois dans le village, elle m’a fait la visite en me racontant ce qu’elle avait vécu. Je devais faire des photos d’elle pour le livre. Ce jour-là, je n’ai pu – je n’ai osé – en faire qu’une seule. C’est celle-ci qui est dans le livre. Camille est une immense dame, un modèle d’engagement syndical et militant, un modèle de courage.
Cet ouvrage sur Oradour, c’est un hommage, un hommage à Camille, et un hommage aux martyrs. Tous les habitants d’ici ont perdu quelqu’un de leur famille dans ce massacre. Les deux enfants du grand-oncle de mon mari y ont péri. »
Le travail de mémoire avec Franck Linol
« Je photographiais Oradour, et lui de son côté avait ce projet de livre dans ses tiroirs depuis plusieurs années. Il ne lui manquait plus qu’un photographe pour le finaliser. Nous nous sommes rencontrés, nous avons discuté du projet, puis j’ai soumis un book à son éditeur. Tout s’est enchaîné très vite et le contrat a été signé. Je ne souhaitais aborder cet ouvrage différemment de ceux qui existaient. J’ai passé des mois dans le village, de jour et de nuit. »
« Le Dimanche 11 juin 1944, au lendemain du massacre d’Oradour. Camille Senon prend le tramway, le dernier tram qui mènera au village. » Camille a pris le tram le samedi 10 juin, de Limoges où elle travaillait à destination d’Oradour où elle venait fêter son 19ème anniversaire avec ses parents. Le tram fut arrêté par la division SS, les occupants menés dans un champ, juste au-dessus de la Glane. Les SS voulaient les mitrailler. Camille a alors eu un éclair, elle s’est mise à leur crier qu’ils n’étaient pas d’Oradour, et elle a sorti sa carte d’identité sur laquelle figurait son adresse à Limoges. Les nazis les ont alors tous laissé partir. Camille s’est réfugiée dans une ferme aux Bordes pour la nuit. Et le lendemain matin, au lever du soleil, elle s’est rendue au village à pied. Elle est allée jusqu’à l’endroit de ma photo. Elle était pétrifiée d’horreur, elle n’est pas allée plus loin, elle n’est pas rentrée dans l’église fumant encore… »
La lumière porteuse d’âmes
Il y a une histoire dans l’histoire… avez-vous des choses à confier, à raconter… ?
« Photographier, cela signifie littéralement « écrire avec la lumière », c’est ce que je m’emploie à faire, travailler beaucoup sur les ombres également, car sans ombre, point de lumière. »
À chaque cliché son histoire. Il y a tout d’abord l’empreinte des lieux, qu’Hélène ressent. Elle peut y passer des jours. Introspection, réflexion. Telle une actrice, il lui faut s’imprégner de la vie/vue qu’on lui confie. Elle observe, écoute, trouve l’unité de chaque lieu. Vient ensuite la lumière qui va souligner les fêlures pour traduire son éclat. Loin de cacher, oublier ; son art révèle l’histoire. Peu importe le temps, le lieu « je préfère les lumières du matin et du soir, peu importe le temps, peu importe le lieu. ». Hélène Delarbre nous confie ainsi ses photos, telles des pages d’histoires qui ne peuvent ni être altérées ni censurées par autrui.
« Souvent, la création se passe en plusieurs temps. La réflexion, les repérages, parfois je fais un croquis de la scène, puis la réalisation. Il arrive souvent que la réalisation soit faite et refaite. 20 fois sur le métier je remets mon ouvrage, jusqu’à arriver à ce que j’avais en tête. »
Lumières intérieures
Hélène habite à 4km d’Oradour, le village martyr a toujours été le fruit de ses expériences photographiques, et de son devoir de mémoire : « Parce qu’il ne faut pas oublier, parce qu’il faut garder des traces tangibles. »
« Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre. » disait Winston Churchill
Elle parcourait le village comme un chemin de mémoire, guettant les lueurs, s’imprégnant de chaque atmosphère. De jour ou de nuit, son trajet l’amenait toujours au plus profond de l’histoire. Prendre le temps. S’assoir, écouter… entendre.
« Au commencement, j’y suis allée sans appareil photo. Je déambulais dans le village, je m’asseyais pendant des heures, je regardais, j’écoutais. Je voulais ressentir. Et seulement ensuite, après plusieurs semaines, j’ai commencé à y faire des photos. »
« Sois le changement que tu souhaites voir en ce monde. »
« Je suis une femme libre, sans tabous, militante, engagée, perfectionniste ; je suis une épouse, je suis une mère de cinq enfants, je suis une amie.
Je suis le résultat de mes expériences, de mes fêlures, de mes blessures, de mes drames personnels.
Je suis le kintsugi, cet art ancestral japonais qui répare les objets brisés en soulignant leurs blessures avec de l’or plutôt que de les camoufler. J’apprends à vivre avec mes blessures, à les accepter, à les transformer en élixir plutôt que de les garder en poison.
Je mets tous mon être dans mes photos, toute mon âme. A chaque image, c’est comme si je jouais ma vie. »
Témoigner, comprendre les lumières pour qu’elles ne s’éteignent jamais et éclairent les esprits.
En pleine lumière
Hélène Delarbre Faugeras est entière. Elle va transcrire ce « qu’elle voit » sans tabous. Faire des blessures de la vie une force pour se surpasser. Elle a toujours fait des photos, mais sa passion de la photographie s’est exprimée réellement en 2012 après la naissance de son dernier né. Elle a pu s’y consacrer, laissant son métier de professeure des écoles, pour mieux nous transcrire ces histoires.
« C’est une de mes images la plus polémique, la moins politiquement correcte. »
« Parce que je photographie ce que je veux, parce que tout est photographiable, parce que je n’ai pas de tabous, parce que je suis libre. »
Merci Hélène
Florence
Facebook : https://www.facebook.com/Hélène-Delarbre-Photographie-1423910917846862/
Ouvrages :
- Oradour le dernier tram, Métive, 2014, en collaboration avec Franck Linol
- Sur les pas de l’inspecteur Dumontel, Geste, 2015, en collaboration avec Laurine Lavieille et Lionel Londeix
- Je découvre le Limousin, Geste, 2016, en collaboration avec Rudi Molleman
- Oradour-sur-Glane dans la série Tout comprendre, Geste, 2017, en collaboration avec Guy Perlier
*Propos de Camille Senon » extrait du livre Oradour-sur-Glane Tout comprendre Guy Perlier et Hélène Delarbre